Dans l’cul la balayette Par CheriBibi, le 8 novembre 2020

Ouh, Biden a gagné ! Ouh, Trump a perdu ! Champomy !

Sauf qu’il est peut-être nécessaire d’aller au delà de l’opposition médiatique entre « bons » Démocrates et « méchants » Républicains. D’abord parce que comme disait l’écrivain Norman Spinrad dans l’ChériBibi n°6, « Aux USA, un gauchiste c’est Sarkozy ! »… Donc mis à part Bernie Sanders, les candidats de gauche telle qu’on la conçoit grosso-merdo de ce côté de l’Atlantique, y’en a pas là-bas.
Et surtout, si Donald Trump a surpris tout le monde en étant élu la première fois, c’est bien parce que la bourgeoisie -étatsunienne mais pas que- n’a aucune idée de ce qu’est « l’Amérique profonde » :
– La majeure partie des Afro-américains est très pauvre, ne vote pas ou très peu (en ce sens, la première candidature d’Obama fut exceptionnelle en terme d’implication de « nouveaux électeurs »).
– La majeure partie des blancs pauvres a été abandonnée par la « New Left » des années 60 au profit de « grandes idées générales » méprisant le quotidien des gens (ce qu’expliquait Boots Riley dans l’ChériBibi n°10).
– Tout est fait pour retirer aux classes populaires -notamment aux Afro-américains- leur droit de vote (ce qu’expliquait, bis repetita, Archie Shepp dans l’ChériBibi n°10). Lire entre autres ici, ici et ici.

Et si je cite autant le ChériBibi, c’est pas pour vous faire acheter les numéros -toujours dispo- qui vous manqueraient, mais parce que mes idées sur la « question étatsunienne » se sont forgées de rencontres avec… des Étatsuniens.
Le système US compartimente les « communautés » : chacune a ses propres canaux d’information (chaînes TV, cinéma, séries, magazines, etc) et sa propre vision du monde, s’ignorant ou du moins ignorant la réalité du voisin de palier (au sens large vu l’ampleur géographique du pays).
Les États-Unis est un pays très jeune, entièrement construit par des vagues successives d’immigrations le plus souvent forcées (dans le désordre : bagnards et proscrits anglais, esclaves africains déportés, sectes chrétiennes persécutées, Irlandais puis Italiens puis Mexicains fuyant la misère, juifs fuyant les pogroms, Russes puis Cubains puis Iraniens fuyant les révolutions de leur pays respectifs, etc etc) avec une extermination très rapide et quasi complète des peuples indigènes. L’indépendance américaine, fierté nationale, ne fut qu’une réaction à l’abolition de l’esclavage par l’Angleterre de Georges V… Abolition qui mettait à mal l’économie de la jeune colonie (lire le roman Manituana de Wu Ming, cf l’Chéri n°8)..
Bref, un bourbier pire que le Viêtnam s’étalant sur 300 ans, tenu à peu près en un seul morcif par une Constitution sacralisée édictée au temps des cowboys. La loi du Talion, vue comme divine, étant majoritairement plébiscitée par l’industrie du spectacle (à la fin le méchant est puni, quasi systématiquement de manière létale). Le Bien contre le Mal à la truelle (alors qu’en fait, comme le disait Spinrad dans l’Chéri cité, « La vraie lutte historique, ce n’est pas la lutte entre le bien et le mal, mais la lutte entre deux concepts du bien différents »).

Sur ce territoire immense, la réalité quotidienne d’un paysan du Texas n’a rien à voir avec celle d’un Afro-américain des faubourgs de L.A qui n’a rien à voir avec celle d’un hipster de Manhattan qui n’a rien à voir avec… etc etc.

Trump n’a fait qu’accentuer la fracture entre tous ces Étatsuniens loin d’être unis. Mais celle-ci existait depuis toujours, et oui, la critique « trumpiste » des deux côtes (Est et Ouest, votant majoritairement Démocrate) qui prétendent représenter le visage des États-Unis, est hélas très juste. Hollywood à l’Ouest, New York à l’Est exportent à l’international leurs visions très partiales et partielles du pays.
C’est bien pour ça que des groupes punk texans tels The Dicks ou Big Boys par exemple (cf l’Chéri n°2) sont hyper intéressants : ils causent d’une des parties « lumpenisées » du pays. Pareil pour un type comme Eminem sur le lumpen urbain de Détroit (cf l’Chéri 11). On peut lui préférer maintes autres rappeurs, mais il a exprimé une réalité comme bien peu l’ont fait, même si cette expression n’est pas toujours à notre convenance. Et si s’intéresser à la country n’est pas « branché », celle-ci révèle pourtant autant des États-Unis que le blues du Mississipi.

L’Européen « moyen » (si tant est qu’un tel concept existe) en visite aux USA est en général très vite abasourdi du faible niveau de culture générale de l’Étatsunien « moyen ». En clair, il est très facile de se moquer d’une nation d’incultes qu’on mettrait à l’amende au Trivial Pursuit. Des films comme Délivrance ou Easy Rider -parmi tant d’autres- nous donnent à voir des rednecks au QI d’une asperge… Mais qui a fait ces films ? Des intellectuels des grandes villes ? Banco !
Est-ce à dire qu’ils ont entièrement tort dans leur portrait d’une Amérique « white trash » ? Pas forcément. Reste que c’est un peu comme si on résumait tous les Turcs à ceux de Midnight Express
A ce titre, un film comme le premier Rambo est sans doute plus juste (bah oui). Et un chanteur-parolier comme Springsteen plus intéressant à bien des égards qu’un Dylan (bah oui). Même si je n’apprécie ni l’un ni l’autre.

Car qui s’est vraiment intéressé au sort des bouseux des « terres intérieures » ? Personne ou du moins pas grand monde. La classe ouvrière blanche a été abandonnée par les militants progressistes de toute nature. À par des exceptions historiques comme les Black Panthers qui ont forgé des alliances « contre nature » avec les Young Patriots. Mais les Black Panthers furent justement une exception ô combien formidable de lucidité politique (dont nous devrions tous nous inspirer, partout dans le monde).

Désolé, je pourrais en causer des heures car ce pays est fascinant, y compris dans ses aspects les plus horribles. Et il a façonné nos imaginations en exportant sa culture populaire comme sa culture de masse (du jazz des années 20 aux blockbusters actuels). Reste que si, pétris d’un dédain bien-pensant, l’on ne se penche pas sur les frustrations réellement populaires (issues du peuple) qui ont permises à Trump d’accéder au pouvoir, on loupera le coche de toute analyse constructive. Et cela pourra arriver partout.

Laisser un commentaire

Nom:
E-Mail:
Site:
Commentaire:
Validation:
Le dernier numéro de la revue Chéribibi (n°13)

Chéribibeat

Numéros parus

La couverture du ChériBibi n°1
La couverture du ChériBibi n°2
La couverture du ChériBibi n°3
La couverture du ChériBibi n°4
La couverture du ChériBibi n°5
La couverture du ChériBibi n°6
La couverture du ChériBibi n°7
La couverture du ChériBibi n°8
La couverture du ChériBibi n°9
La couverture du ChériBibi n°10
La couverture du ChériBibi n°11
La couverture du ChériBibi n°12
La couverture du ChériBibi n°13
VERMINAX LE GREDIN DE L’OMBRE  Une bande-dessinée de Tôma Sickart
4 CD BEFORE REGGAE 1951 – 1962

Commentaires récents

Rester au jus

Chercher

Archives

La Trime Team

  • APEIS
  • Boris Semeniako
  • Catch the Beat
  • Dans l'Herbe Tendre
  • Fano Loco
  • Foxy Bronx
  • Gérard Paris Clavel
  • Gil
  • La Pétroleuse
  • Le Moine Bleu
  • Les Ames d'Atala
  • Les éditions de la dernière chance
  • London 69
  • Meantime
  • Muller Fokker
  • Ne Pas Plier
  • Pizzattack Créations
  • Shîrîn
  • Slime Zine
  • Une Vie Pour Rien ?

Contacts

Association ON Y VA
BP 60 017
94201 Ivry sur Seine cedex

ten.ibibirehc@tcatnoc ou moc.liamg@avyno.ossa

Connexion