Populaire: Qui appartient au peuple, qui concerne le peuple, issu du peuple (dictionnaire Larousse)
La culture populaire est trop souvent confondue avec ce qu’elle n’est pas. Elle n’est pas de « l’animation sociale » institutionnellement commanditée pour désamorcer la légitime colère du populo en lui faisant faire des graffitis en spaghetti prônant la paix sociable sur la blême façade de la cité où on l’a parqué.
Elle est encore moins cette « culture de masse » fabriquée à la chaîne par l’industrie spectaculaire moderne, formidable machine de guerre envers les expressions authentiquement populaires qui, dès qu’une recette peut en être dégagé, sont pillées à des fins de récupération purement mercantile. Née de la vie quotidienne, souvent connue sans être toujours reconnue, elle ne saurait être cette bouillie consensuelle qui martèle des modèles de vie prédéterminés, une vision aseptisée de la musique, du cinéma, du théâtre, de la littérature, une image préfabriquée du réel dans une méfiance absolue envers tout hors champ et toute marge qui ne rentre pas dans les cases. Non, qu’elle vienne d’Afrique ou d’Asie, de la Jamaïque ou de la banlieue de Paris, la culture populaire est trop jubilatoire pour être fabriqué en laboratoire.
Polar dévoré dans le métro, pochoir croisé sur la route du boulot, groupe punky reggae du petit dernier ou souvenirs de bal musette transmis par une grand-mère ouvrière, la culture populaire prend les formes les plus variées. Encore faut-il la remarquer, la promouvoir et la diffuser. Il apparaît donc nécessaire de lui rendre justice, qu’elle soit contemporaine ou d’un autre siècle, tombée dans l’oubli ou au mieux reléguée au second plan par les historiens… voire -horreur- considérée comme le summum du « kitsch » par une petite élite snobinarde en mal de sensations épicées.
Zonard curieux (ou curieux zonard ?), le ChériBibi dérive dans les recoins malfamés où ne s’aventure guère la lumière blafarde des lampadaires médiatiques. Du rock’n’roll au reggae en passant par la littérature de gare, le cinéma de genre, le théâtre de bar, la bande dessinée et l’illustration, il cause de ce qui appartient, de fait, à tous et à toutes. Car reconnaître le statut exceptionnel des multiples créations de la vie quotidienne, en explorer les innombrables aspects, c’est permettre à tout un chacun de prendre conscience qu’il est l’acteur de sa propre culture.
Par les mots et par l’image, la volonté de ces pages est de rendre hommage à cette créativité qui ne s’est pas façonné dans les officines publicitaires mais dans les rues d’ici ou d’ailleurs, dans les champs de coton plutôt que dans les salons, dans les faubourgs de Kingston en 1969 ou à Roubaix le mois dernier. C’est à la fois le tribut que nous entendons payer à nos aînés -des pionniers du roman-feuilleton à ceux du rhythm & blues- autant que la visibilité que nous souhaitons apporter à tous ceux et toutes celles qui, aujourd’hui, font vivre la culture populaire malgré la pression écrasante des chantres de la malléabilité des cervelles.
Qu’on se le dise, ChériBibi, revue « transgenre » paraissant approximativement tous les ans sauf en cas d’insurrection généralisée ou de guerre bactériologique déclarée, entend bien briser les consensus, écarter les œillères, faire déborder les marges, désenclaver les cultures populaires et mettre un grand coup de latte dans la fourmilière d’une presse spécialisée à outrance où la variété des titres ne cache que le conformisme de la pensée.
Si la culture est une arme, nous entendons bien en être la gâchette.