« Sur l’avenir, l’opinion publique est moins faite de l’ensemble des opinions de chacun que des opinions que chacun se fait de l’opinion des autres. »
(Auguste Detoeuf, Propos de O.L. Barenton, confiseur, 1962)
Et voilà, c’est chaque fois la même : profitant du fait que je bosse d’arrache-panard sur le prochain ChériBibi au fond de ma retraite monastique (ce qui ne signifie pas qu’une petite vieille m’astique mais que je m’isole du monde quelques longues secondes, ne me nourrissant que de steak haché recouvert de cancoillotte, d’une pincée de piment de Cayenne et d’un œuf à cheval, une antique recette de cowboy solitaire que je fais passer en ne me désaltérant qu’aux Côteaux du Vendômois 2012 vu que j’en ai détourné les réserves mondiales -cf épisode précédent- et que ça prend de la place dans mon deux pièces – cuisine)… Diable, où en étais-je ?
Ah oui, les infâmes !
Profitant donc que mon attention fusse détournée par l’exercice de mes fonctions chéribibines, voilà-t-y pas que mes compatriotes –la plupart de surcroît cons d’patriotes– enchaînent les conneries et livrent la France éternellement assoupie aux anneaux avides du susurrant serpent sorti sournois des sous-bois de l’Histoire qui se répète jusqu’à ce que ça pète.
En gros, le bateau prend l’eau, livré qu’il est aux gars de la Marine, et la tasse a un goût de vinasse, le genre qui fait puer de la gueule sévère.
Quoiqu’avant qu’ils ne me collent une balle dans la nuque au dessus de la fosse réservée aux utopistes nostalgiques de la Commune, je tient à tirer mon chapeau aux fachos car c’était pas mal joué, même s’il fallait être aveugle ou membre du Parti Socialiste pour ne pas s’y attendre… et que la lâcheté sociale de ce dernier leur a bel et bien préparé le terrain.
Résumons les faits dans l’ordre (nouveau) :
Porté par les espoirs des enfants de 1968, le Parti Socialiste remporte les élections de 1981. Moins de deux ans plus tard, il renonce officiellement à toute rupture avec le système économico-social en vigueur. Ceux qui avaient –de joie– les larmes aux yeux en 81 commencent à les trouver amères.
Durant les décennies suivantes, le bipartisme (PS d’un côté et RPR puis UMP de l’autre) s’installe au concours électoral de celui qui lave plus blanc sans changer l’eau croupie de l’essoreuse capitaliste. Les classes dites populaires (ce qu’on appelait « la classe ouvrière » avant d’affirmer péremptoirement sa soi-disante disparition), elles, se font essorer pareil.
Le Parti Communiste se prend les pieds dans le tapis (alors que le PS, lui, se prend les pieds dans le Tapie mais se relève avec l’air du type qui n’a rien vu… Pas vu pas pris) ou plutôt dans le paillasson vu qu’il ne fait même plus de porte-à-porte dans les HLM, occupé qu’il est à négocier le prix de ses derniers fauteuils.
À sa droite –enfin, plus à droite encore que le PS et le RPR/UMP (si si, c’est possible)–, un petit groupuscule de nostalgiques du Moyen-âge ayant détourné sans gêne aucune le nom d’un front de la Résistance –le Front National– commence à se sentir pousser des Heil ! à force de servir d’épouvantail pour réélire PS et RPR/UMP. Sauf que le führer de ce ramassis d’anciens et nouveaux collabos, un tortionnaire à l’œil de verre appelé Jean-Marie (la légende dit que c’est en voyant la tronche de sa benjamine à la maternité que son œil s’est suicidé), s’en foutait un peu trop de la politique locale, genre gérer une municipalité, ce type de truc trivial. Il visait direct la présidence quitte à brûler les étapes dans son impatience à rallumer les fours crématoires.
Sa progéniture, elle, l’a joué plus fine. Pigeant qu’à se laisser déguiser en épouvantail, le FN allait encore se retrouver sur la paille, dépouillé de ses idées -donc de ses voix- par les pompes de l’Élysée, elle a tout misé sur « la proximité » avec ceux qui bouffent des nouilles à tous les repas, du moins quand leurs gamins en ramènent un collier pour la fête des mères.
Enfin, une « proximité » sélective car le fond de marmite du FN n’a pas changé, il s’agit toujours de dresser les nouilles « de souche » contre les nouilles aux beurs… Et puis les juifs, comme bouc-émissaires, c’est un peu passé de mode malgré les efforts récents d’un ex-humoriste qui, de toute façon, est un copain (pas à moi, hein !). Tandis que les islamo-gauchistes, même les lecteurs de Charlie Hebdo en ont peur.
Et surtout… surtout… à force de voter successivement pour le PS ou l’UMP sans trop voir la différence dans son assiette, l’électeur finit par trouver appétissantes les vieilles recettes « nationales-socialistes » qu’il n’a jamais goûté pour le vrai. D’autant que ceux qui y ont gouté par le passé ne sont plus là pour en témoigner, ayant fait une mauvaise chute dans les douches au fin fond de la Pologne.
Bref, on en est à ce triste stade (de France) : le FN de fifille, parti historiquement bourgeois, se paye un lifting, gagne une assise populaire et reprend ses rêves de conquête à la base, c’est-à-dire à l’échelon municipal.
En face, l’anticommunisme viscéral de la petite bourgeoisie sociale-démocrate sape les derniers bastions (enfin, pas tous mais presque) de l’histoire ouvrière combative. Comme le disaient des camarades de Villejuif, ville historiquement de gauche emportée par l’UMP grâce à cette haine du rouge primaire qui rallie aussi bien « Verts » que sociaux-traitres « Divers gauche », la gentrification de nos banlieues et, plus largement, de nos quartiers populaires a apporté dans les urnes le ressentiment d’une petite bourgeoisie / classe moyenne économiquement chassée du centre des grandes villes vers la périphérie… mais qui n’a jamais pu se faire à l’idée de cette « mise au ban » en banlieue et par conséquent de n’être plus au centre (des attentions). Il y a de la haine de classe là-dedans. Le mégalo projet du « Grand Paris » en est la triste preuve.
Soyons clairs, ce ne sont pas les prolos, les chômeurs et les pauvres en général qui sont responsables de la montée du fascisme vers le pouvoir (absolu). Ni chez nous, ni ailleurs, ni par l’abstention, ni même par un bulletin brun dans une urne pas si transparente que ça. Aujourd’hui comme hier, avec Le Pen comme avec Hitler, ce qui nourri le fascisme c’est la misère.
Et la misère, elle vient toujours des appétits d’en haut, pas des choix d’en bas, fussent-ils bien peu judicieux et, au final, lourds de conséquences aggravantes.
Alors étant donné qu’on peut s’énerver à juste titre de l’amnésie des peuples à réélire encore et toujours les mêmes gugusses, les mêmes escrocs, les mêmes responsables du sang contaminé, de l’explosion d’AZF, des cancers nucléaires du Pacifique et des suicides chez Orange (ex-France Télécom), bref, les mêmes auto-amnistiés perpétuels, je ne vois rien que d’hélas très normal à vouloir essayer autre chose. Ou plutôt la même chose quand elle est présenté sous une autre étiquette (bleue marine en l’occurrence). Faut bien que les publicitaires servent à quelque chose, ces connards.
Du reste, on n’a pas attendu l’extrème-droite officielle au pouvoir pour subir des lois liberticides, des expulsions à la frontière, des crimes racistes et policiers vite pardonnés, des immigrés et des chômeurs perpétuellement stigmatisés. Et le pire à venir, peut-être, c’est quand on va s’apercevoir que la politique des villes aux mains armées du FN ne sera pas si différente de celle menée depuis des années par le PS et l’UMP au niveau local (et national et international). Il ne faudra pas oublier, alors, que ceux qui ont livré aux habits neufs du fascisme nos populations affaiblies sont les mêmes enflures qui gouvernent le pays depuis des décennies.
Et l’uniforme des flics qui nous tabasserons ne changera même pas de couleur, ce qui fait des économies.
Passé la soi-disante gueule de bois (comme si on s’attendait à autre chose, franchement…), s’agit de continuer à proposer de la fraternité, à échanger de la richesse culturelle –à défaut d’économique- et des petits bonheurs qui donnent de la vigueur. Pour toute autre forme d’insurrection, voyez directos avec mon avocat.
Bref, ton ChériBibi laissera des traces d’ADN lors d’un certain nombre de constructions de situations dans les mois qui viennent. À commencer par projeter des films tous les 15 jours au Dilengo, squat sis 85 rue Molière à Ivry sur Seine (la banlieue rouge qui bouge… ou plutôt ne bouge pas vu qu’on reste rouges, justement, ah ah !). Ouvert en août 2013, le squat abrite plusieurs familles (Roms pour la majorité) ainsi que tout un tas d’activités allant de la boxe aux cours de langue (arabe, romani, français). Y’a une super belle salle de projo donc viendez souffler aux « Jeudis de ChériBibi » ! En plus c’est (évidemment) gratos…
Pour vous la faire dans la chronologie… et du coup balancer nos autres activités éminemment plus subversives qu’il n’y paraît :
Jeudi 3 avril, 20h30 au Dilengo, projection de Companeros !, western Zapata de Sergio Corbucci (1970, cf l’ChériBibi n°2).
Jeudi 10 avril, de 20h30 à 22h, ChériBibi squatte les ondes de Radio Libertaire (89.4 en région parisienne) pour une émission Entre Chiens Et Loups sur les racines du rock et ses diverses branches, du reggae au hip-hop.
Jeudi 17 avril, 20h30 au Dilengo, projection de La 36e Chambre de Shaolin, kung-fu anticolonialiste de Liu Chia-Liang (1978, aka Master Killer, cf l’ChériBibi n°3).
Vendredi 18 avril, après avoir assisté émerveillés au concert des 8°6 Crew à La Maroquinerie, venez danser toute la nuit (c’est-à-dire de 23h à 5h du mat’) au son du ChériBibeat Sound-System à La Cantada pour la 3e Night Of The Living Vinyl !
Samedi 19 et dimanche 20 avril, le ChériBibi vous invite à le suivre à Toulouse pour un événement michto organisé par les potos, voir l’affiche ci-dessous !
Jeudi 1er mai, après la manif qui montrera que la classe ouvrière existe encore et qu’elle emmerde capitalos, sociaux-démagos et fachos (on peut toujours y croire bordel !), viendez dans un autre squat ivryen, Le Soft, 32 pierre Rigaud, pour un concert de ouf réunissant entre autres Cockney Rejects (cf l’ChériBibi n°1), Inner Terrestrials (cf l’ChériBibi n°4) et Vice Squad ainsi que le Chéribibeat Sound-System aux platines histoire de s’écouter un peu d’reggae entre les groupes ! Un festoche dont qu’on vous recausera et qui continuera les 9 & 10 mai avec notamment les vétérans pounks de Sherwood Pogo !
Jeudi 8 mai, retour à 20h30 au Dilengo pour la projo du Retour à la 36e Chambre, kung-fu syndicaliste de Liu Chia-Liang (1980, cf l’ChériBibi n°3) !
Vendredi 9, samedi 10 et dimanche 11 mai, ton ChériBibi tiendra une table à bout de bras au Salon du livre libertaire à l’Espace des Blancs-Manteaux (de fourrure) à Pantruche !
Enfin, et avant le reste à inventer, le jeudi 22 mai à 20h30 au Dilengo, les « Jeudis de ChériBibi » projetterons Le Dernier Face à Face, western politique emblématique de Sergio Sollima (1967)… Et la contre-attaque ne fera que commencer !
Enfin, bon, ça fait un bout de temps qu’elle commence, mais on s’en fout vu qu’il est hors de question de renoncer à danser dans les rues !