Scène 1 – Extérieur jour – Une plage abandonnée.
Un corps à demi nu échoué sur le sable mouillé, face contre terre. Les membres constellés d’écorchures, l’homme semble mort. Plan rapproché. Il a les yeux ouverts, fixés vers le hors-champ. Dans le lointain, les mouettes poussent des cris. Un crabe passe.
Voix off – Vous avez vu Crank avec Jason Statham ? Hyper-tension en VF. Le mec, pendant son sommeil, on lui injecte un poison vicieux. Sa seule façon de survivre, c’est de faire péter l’adrénaline, s’activer sans trêve et courir comme un poulet sans tête (pléonasme) devant une charge de mineurs galiciens en grève. Option « Si tu t’endors t’es mort ».
Bibi c’est pareil. À foncer de projets achevés en projets à achever le long d’une deadline obstinée. Sauf que n’est pas Jason Statham qui peut (ou qui veut, mais non). Loin des caméras, même les super-héros doivent pioncer parfois. Et là, c’est le drame.
Intermède culinaire : Pour faire un ChériBibi, il faut beaucoup de rêverie. S’endormir le sourire aux lèvres et l’imagination au vent dans une mer d’huile afin de se réveiller avec une putain d’idée de mise en page débile… ce genre de chose, triviale pour les uns, vitale pour certains.
Sauf que (bis). Quand tu t’endors en serrant les dents, quand la nuit durant les rouleaux des songes furieux brossent ta carcasse contre les fonds écharpés de l’inconscient, quand les flots bouillonnants rejettent à l’aube ton âme délavée par l’écume de l’amertume, t’es pas trop motivé pour attaquer la journée en sifflant –trique créatrice pointée vers l’avant– « Tiens, voilà du boudin ! »…
Scène 2 – Intérieur nuit – Un appartement de la banlieue rouge
Plan fixe sur une table de travail bordélique où s’entassent notes parsemées de dessins foutraques, bouquins fourrés de marque-pages, vinyles empilés, feuilles à rouler, bref, la zone. Dans le lointain, les mobylettes dorment comme des connes.
Scène 3 – Extérieur jour – La plage abandonnée, coquillages et crustacés.
Le crabe se repointe avec une clé à mollette et, d’un coup bien placé sur les doigts, achève de ramener à la réalité le dormeur du bal.
Le crabe – Eh, tête de nœud coulant, tu commences à nous les briser menu-menu avec tes tirades de noyé magnifique. On croirait zieuter le blog de Ian Curtis Mayfield ! T’y es pas coco, ce que les lecteurs veulent, c’est du ROCK’N’ROLL ! On veut du bruit, du panache, du grandiose ! Fais mouiller les culottes, pas les mouchoirs !
L’homme (recroquevillant ses doigts endoloris dans le sable froid) – Kes’t’a ta l’tourteau ? Tu t’prends pour Jiminy Cricket ? Bordel aqueux, tu crois que j’préférerais pas rêver de lendemains qui chantent plutôt que d’présent qui déchante ?
Le crabe – Bla bla bla… Pauvre chou farci de bonnes intentions, on a pigé que t’avais pas l’cœur brisé à l’ouvrage et on lira La Dame Aux Camélias en pensant à toi crétin ! Mais quitte à meubler en attendant le retour de ce ChériBibi n°8 prodige abandonné en route comme un clebs au bout de sa laisse, pourquoi que tu racontes pas des trucs marrants ? Genre comment que t’as foutu la tehon à l’aut’ journaleux à ce débat de vieux hippies croulants ? Ou ta mission au festoche Bazzarock tiens ? Là, t’avais la patate enfoiré pour danser des rock effrénés sur tables branlantes, dessiner sur des panneaux publicitaires et t’enflammer en discussions passionnées…
L’homme (débarrassant sa barbe de 6 jours des coquillages effilés) – Bin tiens, j’ai pioncé 3h en trois jours, normal que j’avais la pêche. T’as pas pigé? Moi c’est le sommeil qui m’fatigue, la Lune qui éclaire mes défaites…
Le crabe (faisant virevolter sa clé) – Et c’est censé intéresser la lectrice au chômage ça ? La faire patienter quand elle n’attend que d’s’évanouir de bonheur sur son ChériBibi tant secrètement désiré ? Sûr que la coquine est obligée d’oublier le ronron du quotidien en relisant les anciens numéros alors qu’elle préférerait sentir la chaleur du renouveau ! Y’a pourtant du contenu sacrément membré en prévision mec ! Du hardcore new-yorkais, des romanciers ritals aussi savoureux qu’une pizza napolitaine ! Fini l’niaisage, à l’abordage cap’taine !
L’homme (se relevant sur ses bras estafilés en un push-up éreinté) – Bon, Jiminy Crabby, lâche-moi la grappe, j’fais ce que j’veux comme je peux, j’suis pas Bruce Lee.
Le crabe – On est tous le Bruce Lee d’autrui. Lève-toi et rampe !
L’homme (se relevant, baillant et se grattant le sable dans les poils) – Toi, les tripes à l’air dans la mayonnaise, tu serais pas pire. OK, c’est quoi le plat du jouir ?
Le crabe (coupant un cigare d’un coup de pince) – La Suisse mon pote… Genève.
L’homme (le cigare au bord des lèvres) – La Suisse ? Pour y faire quoi ? Un coup d’État ?
Le crabe (allumant la mèche) – Pas loin mec. Tu te souviens de l’Usine ? Les 16, 17 et 18 novembre, ce sera le cadre du festival Monstre… Trois jours à présenter des films de ouf, passer des galettes de cinglés, exposer tes tripes et exhorter la Terre entière à faire la révolution en papier !
L’homme (tétant son cigare d’un oeil pétillant) – Mouais, y’a moyen de s’motiver pour s’marrer à créer sa vie au lieu d’la subir. Après tout, les voyages forment la genèse…
Le crabe (exhultant) – Vas-y Bruce Lee, je retiens la nuit !
PS: Pour savoir tout ce que contient l’estomac du Monstre, cliquez-lui dessus.
PS bis : Et pour tout à fait finir sur un air de fête cette note psychopathique à rallonge, si vous n’avez pas le cran de ramener votre fraise kiffer à Genève, allez au moins de ma part voir God Bless America, ça fait grand bien… à condition de ne pas oublier votre 44 Magnum au cas oùske des blaireaux joueraient avec leur I-phone dernier cri durant la séance.
Un commentaire | Ajoutez le vôtre
Du crabe ! La voilà, la bonne idée ! Je me creusais la tronche pour savoir ce que je vais faire à becqueter demain soir, merci Chéribibi !
God Bless américa, je le note. Lâche rien !
En Suisse, goûte au Cenovis, c’est d’la balle…
Bises