L’aut’ soir, descendant la rue de Belleville après avoir vidé quelques ballons rue de la Villette, des cellules mémorielles enfouies se mirent à s’accorder au tracé de mes Doc Martens…
Belleville.
Putain, Belleville merde !
De la moitié des 90’s à celle des années 2000, on était toute une bande à s’y retrouver les fins de semaine –souvent même au milieu- assoiffés de chaleur humaine (et de bière aussi quand même).
Les gus d’autre part nous appelaient « les skins de Belleville » même si y’avait pas mal de rockers avec nous. On squattait Le Zorba en haut de la rue du Faubourg du Temple : un bistrot PMU tenu par des frangins rebeux qui passaient la zik qu’on leur refilait, c’est-à-dire principalement du reggae.
Daddy U-Roy y entonnait « Wake the town and tell the people ! » sous les néons rouges crades reflétés par la glace murale et, selon le dicton façon Orange Mécanique, « Quand le bar est profond, les skins sont dans le fond ». Le sacré choeur des aminches dans la place, tous rires et sourires :
–Red Star Hooligans !» gueulait le TinMar, l’œil bleu attifé d’un cocard tout frais, la tignasse blonde comme les blés après la tonte, brandissant bien haut des deux bras son verre, sa clope et l’écharpe officielle de l’équipe du 9.3, ce qui dans son état relevait de l’exploit. Quant au JB, cul estampillé 501 posé sur son perchoir à l’extrémité du zinc -prés de la tireuse à bière, de la caisse et du poste à K7-, les Docs sur la rambarde de l’escalier-des-chiottes, cou en avant, tête rasée de rapace à rouflaquettes dont l’expressivité se voulait dédaigneuse, il lâchait une vanne en guise de bonjour.
En cette époque pourtant pas si lointaine, point de bars « rock » ou ceci ou cela, juste des rades de quartier dont l’ambiance était créée par les habitués. Rien de prémâché comme aujourd’hui, ère du « prêt à consommer » rapporté des Etats-Unis. Les lieux étaient à ceux qui les dévergondaient.
On arrivait vers 18-19h, on se cassait à deux heures du mat’ avec des cannettes à emporter jusqu’au terre-plein d’à côté, pis on revenait à l’ouverture, vers 6h. Et rebelote ! On appelait ça « Les 24h du Zorba ».
En ces temps sans « laisse électronique »… euh, téléphone portable, t’appelait au rade pour causer aux camarades. On ne s’en extirpait que pour emballer discret (espère !) ou, plus souvent, tirer sur le bedo. Voire visiter d’autres troquets du secteur histoire de se casser sans payer.
Et puis les « branchés » sont arrivés.
Ils ont remonté la rue du Faubourg du Temple, sournoisement, jusqu’à occuper les 2/3 du café.
Bien sûr, ils prenaient garde à pas s’installer dans le fond oùske y’avait déjà nos arpions, mais ça l’a vite pas fait. Du tout.
On commençait à peine à les appeler « bobos », pas encore « hipsters », mais ils avaient cette particularité de classe qui est de croire que le monde leur appartient de fait. Pour employer un mot savant, ils n’avaient –et n’ont pas plus qu’hier- aucune connaissance psychogéographique de leur environnement. En clair, ils se permettaient des familiarités d’où suintait un mépris profond.
Alors évidemment, quelques baffes ont volées. De plus en plus souvent. Et non-moins évidemment, quand y’a un accrochage entre skins et bouffons, c’est souvent ces derniers qui paient l’addition (surtout quand c’est les copines qui donnent la leçon -on les appelaient pas pour rien « Les triplex de Belleville »!). Sauf qu’au bout d’un moment, le patron (qui pourtant avait lui-même une sacré droite) a fait le constat suivant : les tondus –fussent-ils détendus- ça boit de la bière. En grosse quantité certes, mais de la bière uniquement. Alors que les p’tits zartiss, ça boit du calva, des coquetaïles, bref, des boissons chères. Donc ce faux-frère nous a mis tricards et on s’est déporté de l’autre côté du carrefour, c’est-à-dire en bas de la rue de Belleville, Aux Folies.
Là, on a eu la paix encore quelques années, puis les bourgeois commençant à s’aventurer un peu plus au Nord, la terrasse a enflé en enflés vachement branchés et ça a fini par nous saouler. On s’est donc progressivement carapaté du quartier, allant voir ailleurs si l’herbe était toujours aussi verte que dans la serre à Lychar. Chassés l’air de rien de not’ coin de pavé par le bruit des beaux souliers (pointus). Mis au ban en banlieue quoi, as usual. Plus de place dans la capitale.
Tout ça pour dire que l’aut’ soir, quand je suis passé devant les Folies, qu’un des serveurs m’a demandé ce que je devenait, me proposant même de m’dégôter un p’tit coin où m’installer, j’ai décliné son offre poliment, ne voulant pas lui expliquer posément combien j’avais envie de passer sa terrasse à la sulfateuse…
Voilà, Belleville c’est tricard. Y’a guère que Le Relais qu’a échappé un brin à l’affluence bobophile. Mais tu remontes à Pyrénées/Jourdain, c’est la misère (en milieu étudiant).
Je sais pas si suis-je très clair, à vrai dire en ce moment je devrais être en train de gratter pour un boulot pas spécialement bandant qui met un peu de maïs dans le beurre (j’aime pas les épinards)… Le fait est qu’on pourrait causer d’autres quartiers : Ménilmuche, Oberkampf, la Bastoche, eurkh…
Pourtant, on y faisait pas que consommer à Belleville, on y apportait aussi not’ richesse culturelle, oui madame ! En 10 piges, de not’ bande est sortie une flopée de bands à l’éclectisme musical détonnant : 8°6 Crew, The Wangs, Voices Of Belleville, Soul Invaders, The Moonshiners, sans causer des potos Belleville Cats et Jim Murple Memorial, pis j’en oublie. Tiens, d’ailleurs, puisqu’on cause zizik, v’là quelques paroles très datées que j’avions scribouillé et beuglé du temps où l’Jeansh’, le Sam et Le Belge m’avaient embrigadé dans un éphémère (trois piges et une dizaine de concerts entre bars et squats à tout casser… au sens propre) groupe de rockers fuckers. Y’a pas l’son -encore heureux- mais ça remet dans l’ambiance.
Où y’a des rockers et des skins
À Belleville !
Où y’a des juifs et des muslims
À Belleville !
Où y’a l’Afrique, où y’a l’Asie
À Belleville !
Où y’a des gars et plein de filles
À Belleville !
Où c’est là qu’on est tranquille
À Belleville !
C’est le rock de Belleville
Pour les gars et les filles
Les rockers et les skins
Les juifs et les muslims
Les adeptes du Tao
Tous les vrais parigots
De Pekin à Bamako
À Belleville !
Où on boit des coups le vendredi
À Belleville !
Où on boit des coups le samedi
À Belleville !
Où on s’torche la gueule le week end
À Belleville !
Où on s’torche la gueule la semaine
À Belleville !
Où on oublie sa chienne de vie
À Belleville !
(refrain)
Où y’a d’la pizza et du couscous
À Belleville !
Où y’a des nems et de l’houmous
À Belleville !
Où les bières sont pas chères
À Belleville !
Où tu t’ramasses par terre
À Belleville !
Où tu baises le flipper
À Belleville !
(refrain)
Où les bobos s’tiennent à carreau
À Belleville !
Où y’a pas d’place pour les charlots
À Belleville !
Où y’a des vrais de vrais parigots
À Belleville !
Où y’a vraiment tous nos poteaux
À Belleville !
Où c’est k’tu sors du métro ?
À Belleville !
Voilà, c’est pas du Aristide Bruant, t’en conviendras. Mais puisque j’en suis à fouiller mes archives, j’en balance une dernière, en l’occurrence une histoire vraie à chanter sur l’air du Smash The Disco’s des Business (tournée générale !)… Tu pigeras p’t’être pourquoi not’ ‘tit groupe prometteur a jeté l’éponge le triste soir oùske j’suis descendu de scène étaler pour le compte un fomb qu’avait balancé une boutanche pleine sur la contrebasse (bagarre générale !)… Oui, paçk’en plus y’avait une contrebasse.
Pour te dire qu’on avait du style.
À Belleville.
Ah putain ces bourgeois-bohèmes
C’est vraiment tout un poème
Mais un du genre énervant
Un du style dans les dents
Smash the bobos (x4)
Smash them all
Crâne rasé, Docs cirées
Y font rien qu’à copier
Z’donnent des airs d’affranchis
Et veulent nous apprendre la vie
Smash the bobos (x4)
Smash them all
Z’achètent des appart’ à Paris
Z’investissent dans nos banlieues aussi
Ils viennent nous narguer
Jusque dans nos troquets
Smash the bobos (x4)
Smash them all
La Butte aux Cailles j’y vais plus
Y’en a plein les rues
Partout à Ménil’
Même jusqu’à Belleville
Smash the bobos (x4)
Smash them all
L’autre soir au comptoir
Y’en a un qu’est v’nu me voir
J’y avais rien demandé
Et pourtant il m’a snobé
Smash the bobos (x4)
Smash them all
Y m’a dit « Toi avec ta gapette
Tes rouflaquettes et ton polo
Tu te prends pour un vrai prolo…
C’est un concept totalement has-been »
Smash the bobos (x4)
Smash them all
Le coup est parti tout seul
Le con a roulé sur le sol
Moi faut pas m’énerver
Quand je bois mon godet
Smash the bobos (x4)
Smash them all
Mais y’avait ses copains
Après j’me souvient plus ben
Maint’nant j’ai pas l’air d’un con
Avec cette cicatrice sur le front
Smash the bobos (x4)
Smash them all
Alors qu’ils soient bohèmes ou pas
Nous on combat les bourgeois
C’est dangereux ces machins
Même si ça a l’air de rien
Smash the bobos (x4)
Smash them all
Smash, smash, smash them all (x3)
Les inoubliables Rockers Fuckers, circa 2004.
Pis vu que, par chance, on n’a jamais rien enregistré, vous met-je l’originale par The Business, qu’elle est d’ailleurs vachement plus… plus.
Oi!
4 commentaires | Ajoutez le vôtre
Provincial, je n’ai connu (et mal, forcément) que le Belleville d’il y a quelques 15 (voire 20, bon sang !) ans parce qu’un ami y habitait… J’en ai de bons souvenirs, flous forcément ce qui fait que je ne suis pas sûr de situer précisément les lieux que vous évoquez… Je vois un trocson dans une rue qui remontait d’une (grosse ?) station de métro – voyons voir comment s’appelait-elle (?) – une rue avec plein d’échoppes de bouffe asiatique qui remontait depuis la dite station ; le trocson était du genre trocson standard (dans les tons jaunes ? jaunâtres ?) avec sa population hétéroclite (mélangée ?), gonzes du quartier, vieux, jeunes, alcolos pros, dilettantes de la bibine, vin rouge et café crème, Vichy et côtes du Rhône, etc… un trocson quoi ! Y avait-il de la musique ? Ne sais plus. J’aimais bien ce quartier. Et puis quand on montait, montait, il y avait cette vue, cet espace, cet appel d’air… Bon, dit comme ça, ça fait touriste forcément… mais, c’est que provincial, j’en étais forcément un ou, en tout cas, quelqu’un dans un espace, un lieu différent du sien habituel donc forcément sensible à tous ces trucs qui en marquaient la différence.
Ah, oui, pour le côté invasion des bobos, rassurez-vous, c’est général (« global ») et, dans cette ville de province que j’habite (grosse ville), le phénomène y est identique : le bobo ne connaît pas de frontières, de barrières, c’est le nouveau colonisateur. Et il en a les moyens, le bougre.
Rhhhooo…chouette alors, jolie description réaliste…!!! J’en suis presque ému…c’est rien, c’est l’âge…
Vivant dans le quartier depuis une quinzaine d’années, je partage franchement ton ressenti et ta nostalgie du quartier à l’ancienne…
Yo. Bien « cool » Daniel.
Enfin la prose tout au moins. Parce que le sujet est déprimant. ça me fait pensé qu’il y a dix ans déjà quand je buvais mon premier vers aux Folies c’était déjà le début de la fin !
Ici c’est pareil. Malgré quelques récalcitrants. Va peut-être falloir investir dans ces sulfateuses !
A +
Franz