« La sécurité, c’est la première des libertés, c’est pour cette raison que d’autres libertés peuvent être temporairement limitées. (…) L’état d’urgence est une réponse de court terme. Nous le modernisons mais cela doit s’inscrire dans une politique à long terme. » – Manuel Valls.
Il parle bien hein ? Il est content, il peut sortir tous ses Playmobil bleus avec marqué « Police » dessus. C’est Noël. Et nous on a les boules.
Remarque, c’est pas l’seul à vouloir faire joujou dans la panique générale. Y’a du monde au buffet pour surfer sur la vague d’attentats. Salafisme-tomates-oignons à toutes les sauces tricolores. Avec des frites, ça implique les Belges.
Pas loin d’ma casbah, ils ont débarqués surarmés –les Playmobil assermentés, pas les Belges– dans un squat de mes amis (de méchants anarchotonomes qui préparent des repas et des séances de ciné à partager), enfonçant des portes ouvertes au sens littéral du terme (t’as pas besoin de passer à travers, c’est ouvert banane !), fouillant le lieu de vie avec pertes et fracas, puis emportant avec eux, jusqu’au centre de rétention, un méchant citoyen américain sans papiers.
Ailleurs sur le territoire, d’autres méchants anarchotonomes pourtant trop sensibles pour ne serait-ce que scier un arbre (alors aller en Syrie, pensez…) sont également perquisitionnés et assignés à résidence sans dessert, obligés de pointer trois fois par jour aux pieds du commissaire.
Partout, de méchants anarchotonomes menacent les chemises immaculées de l’ordre social. En plus des sinistres fachos à la Daesh qui –encore heureux– gardent la priorité des limiers policiers soi-disant débordés. Donc il faut plus de flics. Toujours plus de flics. Tout le monde flic.
Et pendant ce temps-là, les suppôts de Jeanne d’Arc attendent des voix.
Après tout, « La sécurité, première des libertés », vieille formule de droite, fut également un slogan du FN (sur une affiche de 1992 où Jean-Marie montre les crocs avec la petite Marion sous le bras). Le recyclage est à la mode, c’est la COP21.
Sauf que la sécurité, c’est pas un flic à chaque porte sous prétexte qu’il y a effectivement un terreau de tarés fanatisés en liberté. La sécurité, c’est déjà d’avoir une porte à laquelle ne frappent pas les huissiers ; un toit sur la tête quand il caille, il pleut, il fait beau ; de savoir que ses mômes vont pouvoir bouffer à leur faim ; qu’on va pouvoir se soigner, se cultiver, s’aérer la tête, la sortir de l’eau trouble du ruisseau.
Après les attentats d’Oslo commis par un facho se réclamant de la chrétienté (tiens, personne n’a alors exigé des chrétiens qu’ils s’en désolidarisent…), le premier ministre norvégien Jens Stoltenberg avait déclaré « Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance. ». Je ne sais s’il a fait suivre ses paroles par des actes adéquats, mais ça sonnait quand même à l’opposé du langage martial de par chez nous. Ici, c’est « liberté, égalité, vos papiers ! » et surtout « Consommez, dépensez, vivez. », selon l’injonction de Manuel Valls –encore lui– qui interdit donc les rassemblements intempestifs hors grands magasins et marchés de Noël.
Bernard Arnault (le patron d’LVMH et affiliés) se frotte les pognes, lui qui gagne 17 636 € par… minute. 1 058 160 € par heure. 294 € par seconde. Jour et nuit. Rien qu’avec ses actions. Sans rien branler quoi. Sinon jouer au poker avec la vie de ses employés. C’est pas violent aussi ça ? Sauf que c’est tellement « dans l’ordre des choses » qu’on ne le souligne pas, et qu’on le dénonce encore moins.
« C’est indécent, remarquait l’autre jour Florence, une copine au chômage. C’est presque un gros mot leur salaire à certaines personnes. »
Tu m’étonnes. Il est beau le modèle social soi-disant en péril. Il a de beaux jours devant lui, de lents demain où l’horizon bouché offre un boulevard aux plus abjectes télévangélistes pour y pêcher leurs ouailles, prêchant la haine du voisin en comparant les misères sans mentionner les profits qu’ils en tirent. Au siècle dernier, on appelait ça des profiteurs de guerre. Les petits soldats, eux, mordent à l’hameçon et répandent leurs viscères avant même de goûter aux appâts de ces messies dont la cause dépeuple. Le fascisme se porte comme un char Dassault et ne perd pas la main quand le capitalisme lui dit, tout fier, « Je suis ton père ! ».
Agitez les drapeaux, bien planqués devant la TV, le spectacle continue en 3D.
Oui, c’est l’état d’urgence. Il y a des tas d’urgences. Rien qu’en France, pauvre France, cher pays de nos souffrances, plus de 6,5 millions de personnes sont au chômage (toutes catégories, dont celles non retenues par les statistiques officielles) ; 570 personnes sans domicile sont mortes dans la rue l’année dernière ; les Restos du Cœur servent un million de repas ; toi-même tu boucles pas tes fins de mois. Et c’est bien l’épouvantail du chômage qui fait avaler la pilule de la précarité. L’intérêt des marchands de soupe n’est sûrement pas que ça change.
Alors ce samedi 5 décembre à partir de 14h, traversons Paris de Stalingrad à la place Clichy pour la 13e manifestation contre le chômage, la précarité et pour la justice sociale*.
C’est peut-être pas une petite manif de miséreux partageux qui fera vaciller l’adversité, mais au moins on se tiendra chauds au cœur, on affûtera notre solidarité en entremêlant nos courages, nos colères, nos désirs et notre dignité. On s’oubliera pas les uns les autres dans la rigueur du sale temps ambiant.
Ce qu’il manque, c’est pas des flics sur le palier ni des drapeaux aux fenêtres mais de l’égalité et de la fraternité. Vraiment.
Ah, petite précision pour celles et ceux qui, c’est légitime, craindraient de contrevenir au couvre-feux policier en se regroupant samedi prochain (un coup de matraque assorti d’un procès est si vite arrivé) : notre manifestation est officiellement autorisée depuis mardi dernier. Faut dire, les 180 chefs d’État étant rentrés dans leurs républiques bananières respectives avec leur moisson d’autocongratulations, les ours polaires et autres prolétaires asphyxiés peuvent continuer à se réchauffer.
Tiens, j’ai bricolé pour l’occase une petite variation au « mot d’ordre » de l’année… Fait tourner.
* On amènera même de la musique et notre nouvelle banderole toute fraîche, peinte avec du bon reggae dans les oreilles. C’est de circonstance (le reggae et la banderole).
Un commentaire | Ajoutez le vôtre
Bravo, très bon résumé, que dire de plus si ce n’est que la matraque chéribibi-esque c’est toujours un fist dans le cul de poule de la répression. Est ce que ça sert à grand-chose ?
Oui pour moi c’est important de l’entendre.
Y’en a assez de subir, de subir, de subir sans cesse…Entre le marteau des lois liberticides/libérales et l’enclume religieuse on crève à gauche, le cœur ne suit plus…et pendant ce temps la populace haineuse va chier dans les urnes son refoulement FHaine.
Je me sens tellement isolé, en minorité à mon boulot avec mon ressenti, mes opinions qu’il n’y a pas un millimètre de moi qui ne soit en colère.
La majorité des gens que je côtoie à mon taf a tellement de merde anxiogène devant les yeux qu’il ne regarde que celui qui a moins que eux pour lui cracher à la gueule par vengeance, jamais vers celui du haut du gratin qui se baffre sur sa tronche. Le seul truc que j’ai appris au travail, c’est que le dur labeur des ouvriers n’est que le faire-valoir des chefs.
Il n’y a pas de travail pour tous, les usines ont quasiment disparu. On a donné au monde de l’entreprise la valeur première sur tout le reste, il n’y a plus aucun lien social, dans l’entreprise c’est chacun pour soi et le premier qui bande encule l’autre. C’est du survival, du rape & revenge tous les jours. Les gens vivent dans la peur de perdre le peu qu’il possède, de perdre la vie face à un fou de dieu, mais vaille que vaille il faut faire tourner la roue de la fortune…
« Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui a mené la lutte. Et nous sommes en train de gagner. » Warren Buffet, interview de CNN, le 25 mai 2005.