« L’homme est né libre et partout il est dans l’Efferalgan. »
Bordel aqueux, la boue encastrant mes pompes pèse pire que du plomb fondu… et cette putain de pluie noire qui dresse des hallebardes entre ciel et terre ! Il faut que je fasse un break, c’est complètement con de foncer en aveugle borné dans cette purée de poix à peine éclairée par les explosions intermittentes de copains sur des mines abandonnées. Stop. Pause syndicale. Je glisse le long d’un tronc moussu criblé de balles jusqu’à déloger une grenouille unijambiste de sa flaque pour y poser un cul. J’étend mes guibolles et pose l’AK47 graisseux dessus, un index indolore désespérément crispé sur la détente. Ma cuisse brûle sous le treillis déchiqueté dont l’épais tissu semble vouloir boire tout mon sang. Mes doigts gauches extraient une clope humide de son paquet froissé pour la glisser entre deux lèvres crevassées. Le briquet-tempête fait son office et mes yeux se ferment quand l’âcre goût envahi la gorge nauséeuse. Sous mon casque en fer, je pense à une petite gamine dont je vais encore louper l’anniversaire. Ouaip, c’est toujours pas cette année qu’elle me sourira au visage, toute fière d’avoir réussi à souffler une bougie supplémentaire… Une explosion plus proche que les autres me tire de ces rêveries inassouvies en m’éclaboussant d’un mélange tiède de boue et de tripes. Je me recroqueville contre l’arbre et rallume le mégot. Un boyau se prend pour un boa sur la branche d’à côté et la grenouille unijambiste s’est réfugiée dans mon gilet pare-quedalle. Je la ramènerais bien en guise de cadeau exotique histoire de voir briller les grands yeux de la môme, mais le chien n’en ferait qu’une bouchée. De toute façon, veinards comme on est, la batracienne et moi, y’a fort à parier qu’on finisse en viande hachée d’homme-grenouille bien avant d’être en vue du paillasson. Foin d’illusions, je crache la dernière braise dans la nuit en extrayant de ma poche de treillis la feuille de route plastifiée. Au loin, un con vide son chargeur sur des ombres. À la lueur vacillante du briquet-tempête, les instructions semblent danser sur le papier moucheté de sang :
« Se procurer par tous les moyens nécessaires un kilo de patates à chair blanche ; un pot de crème fraîche ; une plaquette de beurre demi-sel ; un petit morceau de foie gras ; quatre fines tranches de saumon fumé ; deux avocats ; de la purée de piment ; un carré de chèvre frais ; une petite gousse d’ail ; six tomates ; un citron ; de la moutarde ; de l’huile de sésame ; du sel ; du poivre. Mélanger le chèvre et les avocats jusqu’à formation d’une purée vert clair. Ajouter de l’ail émincé, une demi-cuillère à café de purée de piment, un peu moins d’un demi-citron, sel et poivre. Rouler la préparation obtenue dans les tranches de saumon. Cuire les patates à l’eau, les couper en morceaux et les faire revenir à la poêle dans le beurre. Dans une petite casserole, mélanger à feu doux un demi-pot de crème avec un peu de foie gras émincé ; poivrer. Couper les tomates en dés ; mélanger l’ail, le jus d’un demi-citron, une bonne cuillère de moutarde, deux cuillères à soupe d’huile, du sel, du poivre. Répartir tomates et patates dans deux assiettes. Verser la sauce crème-foie gras sur les patates et la sauce moutarde-citron-huile sur les tomates (et non pas l’inverse) après avoir préalablement servi les rouleaux saumon-guacamole. Déboucher une ou deux bonnes bouteilles de blanc une petite heure avant. »
Le brouhaha de l’orage rivalise à présent avec le fracas des tirs de mortier en provenance de la colline voisine. La grenouille tremble de peur contre mon cœur. Du foie gras, du saumon et de l’huile de sésame ? Arrosés sans doute d’un Côtes du Jura au parfum délicatement fumé ? Y’en a qui s’emmerdent pas dis donc. Putain de guerre.
PS : Les yeux cernés par les tirs de mortier mortifères, j’allais oublier quelques annonces urgentes car en retard : ce mardi 11 février, le festoche Sons d’Hiver s’installe au Hangar à Ivry avec, dès 18h30, une rencontre au sommet entre les militants chômistes de l’Apeis et les rappeurs Invincible & Waajeed en provenance directe de Détroit, glorieuse ville sinistrée de la Motown, des Stooges et du MC5. On y causera des misères et résistances d’ici et là-bas (suivi d’un concert evidently) vu qu’il est hors de question de se résigner à resigner pour quelques années additionnelles de malheur poissard !
Ce 11 février, c’est aussi la tant attendue sortie (numérique) d’une première partie de l’intégrale des Witches Valley, putain de groupe country-hardcore expérimental fêlé dont le père Cochran causait dans le ChériBibi n°2. Vous pouvez vous procurer la chose ici en attendant une parution CD et vinyle courant 2014. Le 1er LP, The Extreme Return To The Source (1990), sera quant à lui aussi dispo numériquement à partir du 24 mars (et écoutable d’ici là chez moi en vinyle d’origine avec un p’tit Côtes du Jura). Big up à la miss Kim Ohio qui a vendu son nœud coulant pour ressortir ces démentiels sons des oubliettes !
Ce jeudi 13 février, l’émission Entre Chien Et Loup (de 20h30 à 22h sur Radio Libertaire 89.4) rediffuse la séance « Spéciale racines du rock » de 2011 ousk’étaient invités Maître Madj (ex-Assassin), Don Blades et moi-même (futurs assassins), l’occaz’ de réécouter une discussion anthologique (et fendarde) !
Pis le vendredi 21 février, viens danser ta nuit entre 23h et 5h du mat’ à La Cantada (13 rue Moret, M° Ménilmuche) car à l’heure où une touche d’ordinateur prétend agiter les foules jusqu’au matin (c’est d’un commun…), le ChéribiBeat Sound-System prouve à tes gambettes que quelques galettes vinyliques amoureusement sélectionnées valent bien mieux qu’un clic automatisé pour enclencher le déclic qui fait virevolter les souris sur le dancefloor !
Allez, une roulade dans la boue, un rétablissement sur le genoux qui fait mal, il s’agit de courir plus vite que les balles en attendant un nouveau répit propice à évoquer le reste à venir dans le fracas des explosions qui donnent bonne mine (n’y voit rien d’antipersonnel). Ah, si seulement on pouvait vivre sa vie autrement que comme un parcours du combattant… Guerre à la misère !
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Merci, »witch doctor ».